Suite à l'article sur la généalogie qui vient en aide à la médecine, j'ai eu l'honneur de pouvoir poser quelques questions à Nadine Pellen, cette professeur de sociologie bretonne qui utilise la généalogie dans ses recherches pour sa thése qui cherche à prouver que les patients bretons touchés par cette maladie peuvent avoir des liens de parenté communs.
Nadine
Pellen, présentez-vous en quelques mots pour ceux qui ne vous
connaîtraient pas encore.
En
quelques mots... alors, je vous citerai bien un diplôme, une drogue
et un plat.
Un
diplôme : le doctorat, que je viens de soutenir le 13 janvier
2012. Ma thèse, en démographie, traitait de l’origine de la
mucoviscidose en Bretagne.
Une
drogue : la généalogie, je suis accroc.
Un
plat : le far breton, ma famille est implantée au bout du
monde, dans le Finistère Nord, depuis des générations.
Parlez-nous
de votre thèse. En quoi est-elle en rapport avec la généalogie ?
Ma méthode de travail est basée sur
la généalogie.
J’ai développé un travail commencé
et arrêté au début des années 1990 par le Professeur Chaventré,
directeur de recherche à l’Ined (Institut national d’études
démographiques). L’idée de départ était de remonter les arbres
généalogiques, en ascendance directe, de malades afin de voir, où
les branches se croisent.
J’ai commencé par recenser tous les
malades atteints de mucoviscidose dans le Finistère et les Côtes
d’Armor (archives d’hôpital, laboratoire de génétique, appel
aux familles). Puis, j’ai remonté, grâce à un réseau de plus de
250 généalogistes bénévoles, les arbres généalogique des
milliers de malades bretons.
L’analyse des croisements de branches
a permis de mettre en avant que les individus partageant une mutation
identique sont apparentés. Les lieux de vie de leurs ancêtres
communs ont été cartographiés. Ils indiquent une répartition
différentielle selon les mutations portées. L’observation de
foyers littoraux de concentration d’ancêtres des porteurs des
mutations de la mucoviscidose m’a poussé à évoquer une entrée
maritime des mutations principales et non un refoulement de la
population jusqu’aux limites terrestres du vieux continent.
Les Bretons
actuels sont les descendants des émigrés anglo-saxons (Gallois,
Cornouaillais, Irlandais) débarqués par la mer au Ve
siècle. Or, au vu des cartographies élaborées et de ma
connaissance des marqueurs génétiques des deux côtés de la
Manche, j’ai avancé l’hypothèse, d’implantations
différentielles des migrants en Armorique. Ainsi, la proximité des
données génétiques (G551D, G542X, 1078delT), des deux côtés de
la Manche, vient renforcer la théorie selon laquelle le patrimoine
génétique des grands-Bretons et des Bretons armoricains est commun
et ce depuis les grandes migrations du Ve siècle.
On peut donc
émettre l’hypothèse d’origines différentes des populations, ce
qui pourrait expliquer la disparité régionale que l’on retrouve
chez les ancêtres des malades actuels.
Plus proche de nous, ces apparentements
génétiques ont alors permis de tracer, statistiquement, le chemin
emprunté par le gène, sur près de 20 générations, pour arriver
jusqu’à nous.
Au niveau des
ancêtres, l’examen des unions a révélé des âges au mariage
précoces, notamment pour les femmes, des remariages fréquents,
notamment pour les hommes, révélateurs de pratiques matrimoniales
fécondes augmentant la probabilité de transmission génétique. De
plus, la stabilité géographique constatée au moment des noces ne
semble pas avoir favorisé la diversité génétique.
La
consanguinité, souvent évoquée pour expliquer la fréquence du
nombre de malades atteints de mucoviscidose en Bretagne, n’a pas
été un élément déterminant dans la présente étude. En effet,
seulement 0,8 % des malades sont nés d’une union entre
parents cousins ou petits-cousins. Au niveau des ancêtres, c’est à
partir de la 7e génération que la proportion de paires
d’individus apparentés augmente. Ainsi, plus que la consanguinité,
c’est l’endogamie qui tend a perpétuer le degré d’homogénéité
génétique.
La présence
d’un gène délétère, sans doute venu d’outre-Manche, associé
à une forte fécondité, une population peu mobile au marché
matrimonial restreint ainsi qu’un avantage sélectif des porteurs
sains, permettent d’expliquer la fréquence et la répartition de
la mucoviscidose à la pointe de la Bretagne aujourd’hui.
Où
en êtes-vous dans vos recherches par rapport à cette thèse ?
Pensez-vous avoir besoin d'aide ?
Je
travaille toujours à compléter la base de données. Par le bouche à
oreille j’ai rencontré des familles d’origine bretonne touchées
par cette maladie mais qui ne vivent plus en Bretagne, et dont je
n’avais donc pas connaissance.
J’ai
toujours besoin d’aide pour remonter des branches, en Bretagne ou
ailleurs. En Bretagne, j’ai des difficultés en ce qui concerne les
départements du Morbihan et d’Île et Vilaine.
J’espère
reprendre les travaux d’analyse l’année prochaine.
Et
vous-même, à la base, êtes-vous passionnée de généalogie ? Et
si oui, comment vous-est venue cette passion ?
Je
m’intéresse à la généalogie depuis que j’ai écrit un petit
livret familial, à 20 ans (ça fait 15 ans), sur ma grand-mère
maternelle. De ma famille paternelle j’ai hérité, entre autres,
d’un gène que l’on nomme F508del et qui code pour la
mucoviscidose. Je suis ce que l’on appelle un porteur sain.
C’est-à-dire que je ne porte qu’un seul exemplaire de ce gène.
Si j’en avais aussi hérité d’une copie de ma maman, je serai
malade.
C’est
le cumul de ces deux héritages qui m’a poussée à faire cette
recherche sur la mucoviscidose par la généalogie.
Comment
est perçu votre thèse dans le milieu de la médecine ? Et dans
celui de la généalogie ?
Dans
le milieu de la médecine j’ai l’appui de Gilles Rault et de
Claude Férec deux brillants activistes qui luttent au quotidien
contre la mucoviscidose. J’ai aussi le soutien de nombreuses
familles de malades. Dans le milieu de la généalogie j’ai reçu
un appui incroyable des centres du Finistère et des Côtes d’Armor.
C’est un vrai élan de solidarité organisé (forum, création
d’une liste de diffusion, mise en place d’outils informatiques,
etc.) qui s’est mis en place. Sans tous ces bénévoles, je n’aurai
jamais pu faire cette thèse. Je leur suis très reconnaissante.
A ce
jour, je n’ai pas perçu de réaction négative par rapport à mes
recherches, plus de l’indifférence.
Je
voudrais ajouter que d’un point de vue juridique, la base de
données sur laquelle je travaille est intégrée au service
d’information médicale d’un centre de soin. Elle est déclarée
à la Cnil et répond aux mêmes normes d’accès que le dossier
médical des patients.
Récemment,
j'ai écrit sur le blog un article sur la généalogie génétique ?
Avez-vous un avis là-dessus ? Est-ce que c'est un procède qui
pourrait vous aider ?
Sachant qu’il y a trois questions en une, je vais essayer d’y répondre en décomposant le sujet.
1- Partons du principe que la généalogie génétique soit, comme vous le dîtes dans votre article une : « carte sur laquelle vous pourrez voir d'où viennent vos ascendants, découvrir des cousinages avec des individus ou encore savoir si vous avez un lien de parenté avec une célébrité historique quelconque dans certains cas. »
2- Rappelons qu’en France, la loi interdit les bases de données contenant des informations génétiques, nominatives et généalogiques. Je travaille sur ce type de fichier mais en répondant aux exigences de la Cnil (ordinateur dédié, non connecté à internet, protection des données personnelles, etc.). Toutes les analyses sont faites sur des fichiers anonymisés pour les 4 premières générations.
3- Une « carte sur laquelle vous pourrez voir d'où viennent vos ascendants » : d’après mes connaissances limitées en génétique, vous pouvez avoir simplement des probabilités sur les origines géographiques d’ancêtres très lointains, ce qui reste tout aussi approximatif sur une échelle temporelle. Ça reste des cartes.
4- Ensuite, « découvrir des cousinages avec des individus » : franchement, je ne vois pas techniquement comment on peut retrouver des cousinages sur des probabilités d’origines.
5- Mon avis là-dessus ? Si ça fait plaisir à certaines personnes de savoir qu’elles sont originaires à 33% d’Asie, 33% d’Afrique et 33% d’Europe centrale, tant mieux. Si d’autres sont contents de savoir qu’ils sont à la fois cousins avec Madonna, Céline Dion et Camilla Parker Bowles, tant mieux.
6- Est-ce que ce procédé peut m’aider dans mes recherches ? D’après ce que j’en sais, non, c’est trop approximatif.
Pour
finir, avez-vous un message particulier à faire passer aux lecteurs
du blog ?
J’aurai pu intituler ma thèse « Des
gènes et des hommes ». Car les généalogies représentent
l’histoire biologique des hommes. Elles dessinent les chemins par
lesquels le patrimoine génétique collectif a été transmis de
générations en générations. Je l’ai intitulée « Hasard,
coïncidence, prédestination... et s’il fallait plutôt regarder
du côté de nos aïeux ? Analyse démographique et historique
des réseaux généalogiques et des structures familiales des
patients atteints de mucoviscidose en Bretagne. ».
Car comme je l’ai montré, en
m’appuyant sur des généalogies, cette maladie, en Bretagne, n’est
pas due au hasard et j’en ai l’intime conviction, elle n’est
pas non plus une fatalité. Quoiqu’il en soit, la généalogie
présente, pour les familles touchées, une approche collective non plus individuelle de la maladie.
Merci beaucoup à Nadine pour sa gentillesse et sa disponibilité
Merci beaucoup à Nadine pour sa gentillesse et sa disponibilité
Je fais suivre ton article.
RépondreSupprimerTrès intéressant comme interview, ça complète le reportage de France 2
@ Benoit : Merci beaucoup. Il faut dire que Nadine Pellen a été tres sympathique et a tres reactive.
RépondreSupprimerJ'ai été interpellée d'emblée par la démarche de cette sociologue bretonne sur la mucoviscidose.
RépondreSupprimerPouvoir lire Nadine Pellen sur sa démarche scientifique qui puise dans la généalogie est vraiment intéressant et apporte un éclairage complémentaire sur la scientifique et ses travaux.
Merci Grégory pour cette passionnante interview ! Et chapeau bas à Nadine pour son travail.
@ Tatiana : Merci a vous pour votre commentaire. Je suis heureux de le lire car c est justement cela que je voulais apporter aux lecteurs du blog : un eclairage complementaire suite a mon article sur la genealogie qui vient en aide a la medecine. C est surtout Nadine qui faut remercier, elle a vraiment été dispo et ouverte pour repondre a toutes les questions.
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