mercredi 7 novembre 2012

Interview de Nadine Pellen, sociologue : "Ma méthode de travail est basée sur la généalogie"


    Suite à l'article sur la généalogie qui vient en aide à la médecine, j'ai eu l'honneur de pouvoir poser quelques questions à Nadine Pellen, cette professeur de sociologie bretonne qui utilise la généalogie dans ses recherches pour sa thése qui cherche à prouver que les patients bretons touchés par cette maladie peuvent avoir des liens de parenté communs.


Nadine Pellen, présentez-vous en quelques mots pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore.

En quelques mots... alors, je vous citerai bien un diplôme, une drogue et un plat.
Un diplôme : le doctorat, que je viens de soutenir le 13 janvier 2012. Ma thèse, en démographie, traitait de l’origine de la mucoviscidose en Bretagne.
Une drogue : la généalogie, je suis accroc.
Un plat : le far breton, ma famille est implantée au bout du monde, dans le Finistère Nord, depuis des générations.

Parlez-nous de votre thèse. En quoi est-elle en rapport avec la généalogie ?

Ma méthode de travail est basée sur la généalogie.

J’ai développé un travail commencé et arrêté au début des années 1990 par le Professeur Chaventré, directeur de recherche à l’Ined (Institut national d’études démographiques). L’idée de départ était de remonter les arbres généalogiques, en ascendance directe, de malades afin de voir, où les branches se croisent.
J’ai commencé par recenser tous les malades atteints de mucoviscidose dans le Finistère et les Côtes d’Armor (archives d’hôpital, laboratoire de génétique, appel aux familles). Puis, j’ai remonté, grâce à un réseau de plus de 250 généalogistes bénévoles, les arbres généalogique des milliers de malades bretons.

L’analyse des croisements de branches a permis de mettre en avant que les individus partageant une mutation identique sont apparentés. Les lieux de vie de leurs ancêtres communs ont été cartographiés. Ils indiquent une répartition différentielle selon les mutations portées. L’observation de foyers littoraux de concentration d’ancêtres des porteurs des mutations de la mucoviscidose m’a poussé à évoquer une entrée maritime des mutations principales et non un refoulement de la population jusqu’aux limites terrestres du vieux continent.
Les Bretons actuels sont les descendants des émigrés anglo-saxons (Gallois, Cornouaillais, Irlandais) débarqués par la mer au Ve siècle. Or, au vu des cartographies élaborées et de ma connaissance des marqueurs génétiques des deux côtés de la Manche, j’ai avancé l’hypothèse, d’implantations différentielles des migrants en Armorique. Ainsi, la proximité des données génétiques (G551D, G542X, 1078delT), des deux côtés de la Manche, vient renforcer la théorie selon laquelle le patrimoine génétique des grands-Bretons et des Bretons armoricains est commun et ce depuis les grandes migrations du Ve siècle.
On peut donc émettre l’hypothèse d’origines différentes des populations, ce qui pourrait expliquer la disparité régionale que l’on retrouve chez les ancêtres des malades actuels.

Plus proche de nous, ces apparentements génétiques ont alors permis de tracer, statistiquement, le chemin emprunté par le gène, sur près de 20 générations, pour arriver jusqu’à nous.

Au niveau des ancêtres, l’examen des unions a révélé des âges au mariage précoces, notamment pour les femmes, des remariages fréquents, notamment pour les hommes, révélateurs de pratiques matrimoniales fécondes augmentant la probabilité de transmission génétique. De plus, la stabilité géographique constatée au moment des noces ne semble pas avoir favorisé la diversité génétique.
La consanguinité, souvent évoquée pour expliquer la fréquence du nombre de malades atteints de mucoviscidose en Bretagne, n’a pas été un élément déterminant dans la présente étude. En effet, seulement 0,8 % des malades sont nés d’une union entre parents cousins ou petits-cousins. Au niveau des ancêtres, c’est à partir de la 7e génération que la proportion de paires d’individus apparentés augmente. Ainsi, plus que la consanguinité, c’est l’endogamie qui tend a perpétuer le degré d’homogénéité génétique.

La présence d’un gène délétère, sans doute venu d’outre-Manche, associé à une forte fécondité, une population peu mobile au marché matrimonial restreint ainsi qu’un avantage sélectif des porteurs sains, permettent d’expliquer la fréquence et la répartition de la mucoviscidose à la pointe de la Bretagne aujourd’hui.


Où en êtes-vous dans vos recherches par rapport à cette thèse ? Pensez-vous avoir besoin d'aide ?

Je travaille toujours à compléter la base de données. Par le bouche à oreille j’ai rencontré des familles d’origine bretonne touchées par cette maladie mais qui ne vivent plus en Bretagne, et dont je n’avais donc pas connaissance.
J’ai toujours besoin d’aide pour remonter des branches, en Bretagne ou ailleurs. En Bretagne, j’ai des difficultés en ce qui concerne les départements du Morbihan et d’Île et Vilaine.
J’espère reprendre les travaux d’analyse l’année prochaine.

Et vous-même, à la base, êtes-vous passionnée de généalogie ? Et si oui, comment vous-est venue cette passion ?

Je m’intéresse à la généalogie depuis que j’ai écrit un petit livret familial, à 20 ans (ça fait 15 ans), sur ma grand-mère maternelle. De ma famille paternelle j’ai hérité, entre autres, d’un gène que l’on nomme F508del et qui code pour la mucoviscidose. Je suis ce que l’on appelle un porteur sain. C’est-à-dire que je ne porte qu’un seul exemplaire de ce gène. Si j’en avais aussi hérité d’une copie de ma maman, je serai malade.
C’est le cumul de ces deux héritages qui m’a poussée à faire cette recherche sur la mucoviscidose par la généalogie.

Comment est perçu votre thèse dans le milieu de la médecine ? Et dans celui de la généalogie ?

Dans le milieu de la médecine j’ai l’appui de Gilles Rault et de Claude Férec deux brillants activistes qui luttent au quotidien contre la mucoviscidose. J’ai aussi le soutien de nombreuses familles de malades. Dans le milieu de la généalogie j’ai reçu un appui incroyable des centres du Finistère et des Côtes d’Armor. C’est un vrai élan de solidarité organisé (forum, création d’une liste de diffusion, mise en place d’outils informatiques, etc.) qui s’est mis en place. Sans tous ces bénévoles, je n’aurai jamais pu faire cette thèse. Je leur suis très reconnaissante.
A ce jour, je n’ai pas perçu de réaction négative par rapport à mes recherches, plus de l’indifférence.
Je voudrais ajouter que d’un point de vue juridique, la base de données sur laquelle je travaille est intégrée au service d’information médicale d’un centre de soin. Elle est déclarée à la Cnil et répond aux mêmes normes d’accès que le dossier médical des patients.

Récemment, j'ai écrit sur le blog un article sur la généalogie génétique ? Avez-vous un avis là-dessus ? Est-ce que c'est un procède qui pourrait vous aider ?

Je vais tacher d’y répondre mais il faut savoir que c’est un sujet très complexe plein d’inconnus, de statistiques et qui remet en cause un certain nombre de principes éthiques.
Sachant qu’il y a trois questions en une, je vais essayer d’y répondre en décomposant le sujet.
1- Partons du principe que la généalogie génétique soit, comme vous le dîtes dans votre article une : « carte sur laquelle vous pourrez voir d'où viennent vos ascendants, découvrir des cousinages avec des individus ou encore savoir si vous avez un lien de parenté avec une célébrité historique quelconque dans certains cas. »
2- Rappelons qu’en France, la loi interdit les bases de données contenant des informations génétiques, nominatives et généalogiques. Je travaille sur ce type de fichier mais en répondant aux exigences de la Cnil (ordinateur dédié, non connecté à internet, protection des données personnelles, etc.). Toutes les analyses sont faites sur des fichiers anonymisés pour les 4 premières générations.
3- Une « carte sur laquelle vous pourrez voir d'où viennent vos ascendants » : d’après mes connaissances limitées en génétique, vous pouvez avoir simplement des probabilités sur les origines géographiques d’ancêtres très lointains, ce qui reste tout aussi approximatif sur une échelle temporelle. Ça reste des cartes.
4- Ensuite, « découvrir des cousinages avec des individus » : franchement, je ne vois pas techniquement comment on peut retrouver des cousinages sur des probabilités d’origines.
5- Mon avis là-dessus ? Si ça fait plaisir à certaines personnes de savoir qu’elles sont originaires à 33% d’Asie, 33% d’Afrique et 33% d’Europe centrale, tant mieux. Si d’autres sont contents de savoir qu’ils sont à la fois cousins avec Madonna, Céline Dion et Camilla Parker Bowles, tant mieux.
6- Est-ce que ce procédé peut m’aider dans mes recherches ? D’après ce que j’en sais, non, c’est trop approximatif. 

Pour finir, avez-vous un message particulier à faire passer aux lecteurs du blog ?

J’aurai pu intituler ma thèse « Des gènes et des hommes ». Car les généalogies représentent l’histoire biologique des hommes. Elles dessinent les chemins par lesquels le patrimoine génétique collectif a été transmis de générations en générations. Je l’ai intitulée « Hasard, coïncidence, prédestination... et s’il fallait plutôt regarder du côté de nos aïeux ? Analyse démographique et historique des réseaux généalogiques et des structures familiales des patients atteints de mucoviscidose en Bretagne. ».
Car comme je l’ai montré, en m’appuyant sur des généalogies, cette maladie, en Bretagne, n’est pas due au hasard et j’en ai l’intime conviction, elle n’est pas non plus une fatalité. Quoiqu’il en soit, la généalogie présente, pour les familles touchées, une approche collective non plus individuelle de la maladie.

Merci beaucoup à Nadine pour sa gentillesse et sa disponibilité


4 commentaires:

  1. Je fais suivre ton article.
    Très intéressant comme interview, ça complète le reportage de France 2

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  2. @ Benoit : Merci beaucoup. Il faut dire que Nadine Pellen a été tres sympathique et a tres reactive.

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  3. J'ai été interpellée d'emblée par la démarche de cette sociologue bretonne sur la mucoviscidose.
    Pouvoir lire Nadine Pellen sur sa démarche scientifique qui puise dans la généalogie est vraiment intéressant et apporte un éclairage complémentaire sur la scientifique et ses travaux.
    Merci Grégory pour cette passionnante interview ! Et chapeau bas à Nadine pour son travail.

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  4. @ Tatiana : Merci a vous pour votre commentaire. Je suis heureux de le lire car c est justement cela que je voulais apporter aux lecteurs du blog : un eclairage complementaire suite a mon article sur la genealogie qui vient en aide a la medecine. C est surtout Nadine qui faut remercier, elle a vraiment été dispo et ouverte pour repondre a toutes les questions.

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